Il y a tout juste trois ans, le 3 juin 2019, des soldats et miliciens soudanais dispersaient violemment un sit-in de manifestants devant le quartier général de l’armée à Khartoum. Cela faisait des semaines que des milliers de personnes occupaient pacifiquement ces lieux pour exiger le départ d’Omar el-Béchir et de son régime. La dispersion sanglante de ce rassemblement a fait plus de 130 morts et des centaines de disparus. Ce massacre a été perpétré alors que les généraux Abdel Fattah al-Burhane et Mohammed Hamdane Dagalo alias Hemetti tenaient déjà les rênes du pays. Trois ans après, une enquête est en cours mais les familles des victimes n’attendent plus rien de la justice.
avec notre correspondant à Khartoum, Elliott Brachet
Pour les parents d’Abdesalam Kisha, tué à 25 ans, d’une balle de sniper sur le sit-in, le souvenir du 3 juin 2019 ne peut pas s’effacer. « Ce jour-là fut un massacre ignoble. Il y a eu des viols, sur des femmes et des hommes. Des corps jetés dans le Nil. J’accuse directement le général Burhane. Nous n’oublions pas. Nous ne pardonnerons pas. Rien ne peut nous briser. On continuera à se battre jusqu’à ce que la révolution soit victorieuse. »
Trois ans après, l’enquête officielle n’a présenté aucun résultat.
« Il ne peut pas y avoir de justice ou d’investigation sur la mort des martyrs alors que la junte militaire nomme elle-même le chef de la justice et le procureur général. Quand un comité d’expert argentins est venu pour autopsier les corps retrouvés en décomposition dans une morgue et une fosse commune, on leur a refusé l’accès. Tout est fait pour dissimuler la vérité »
Pour la mère qui se tient fière devant le graffiti à l’effigie de son fils peint sur le mur de la maison, il ne reste qu’une solution. « Je continuerai à descendre à toutes les manifestations pour demander la liberté, la paix et la justice. C’étaient les slogans pour lesquels nos martyrs sont morts. Abdelsalam ne nous a pas vraiment quitté, il vit encore en nous. »
Des obstructions à l’enquête
Au plus de 130 morts lors du massacre du sit-in, viennent désormais s’ajouter une centaine de manifestants tués dans la répression qui a suivi le coup d’Etat. Depuis, les autorités civiles ont été évincées par les militaires lors du coup d’état du 25 octobre 2021 mais l’enquête officielle sur ce massacre n’a toujours pas livré de conclusion comme nous l’explique l’avocat qui dirige les investigations.
Derrière une pile de dossiers, Nabil Adeeb reçoit à son bureau accolé à son propre domicile car les locaux du comité d’enquête qu’il dirige ont été assaillis au mois de mai par des forces armées. Comme il le reconnaît à demi-mots, l’investigation piétine.
« Notre enquête se poursuit, mais nous avançons très lentement. Nous faisons face à certaines obstructions de la part des autorités. Certaines parties de l’enquête ne pourront être menées à bien sans qu’un gouvernement ne soit formé. Nous avons besoin d’examiner des preuves matérielles, des images satellites, des corps, des fosses communes. Quand ça sera fait, nous pourrons présenter nos résultats »
Nabil Adeeb, qui avait été désigné par le Premier ministre déchu Abdallah Hamdok, est très critiqué par de nombreux militants pro-démocratie qui lui reprochent d’être trop conciliant à l’égard des militaires. L’avocat assure lui qu’aucun responsable ne pourra bénéficier d’une immunité. Pourtant, les résultats de l’enquête, si elle aboutit, seront confiés au procureur général. Or ce dernier a été nommé par le général Burhane en personne à la suite du coup d’Etat.