Mohamed Tounkara, premier sénégalais à gravir le Mont-Blanc : « Cétait éprouvant, tu vois ta vie défiler…»

Amoureux de sensations fortes et passionné de défis extrêmes. Ces quelques mots décrivent Mohamed Tounkara à la perfection. Cet ingénieur en informatique de 31 ans ayant fait ses classes au prytanée militaire de Saint-Louis, ne cesse d’enchaîner aventure sur aventure. Le dernier en date, qui l’a propulsé au devant de la scène médiatique, est l’ascension du Mont-Blanc (4800 m d’altitude) en juillet 2022 faisant de lui le premier sénégalais à réaliser cette performance. Dans cet entretien accordé à Seneweb, l’alpiniste nous parle de sa passion pour les sports extrêmes et de ses prochains objectifs dont l’un d’entre eux est de se confronter avec le Kilimandjaro.


Seneweb : Comment est né ce désir de gravir le Mont-Blanc ?

Mohamed Tounkara : J’ai toujours été féru d’aventure et féru de sport aussi longtemps que je m’en rappelle. J’ai toujours cherché à me surpasser, sortir des sentiers battus. Ce qui a fait en sorte que je fais des sports extrêmes. Je suis aussi parachutiste, je fais de la plongée sous-marine, je fais de l’escalade (en salle et sur falaise). Parmi les sports que je pratique, il y a le ski et le snowboard. Quand j’étais parti dans les Alpes pour faire du ski, c’est là que j’ai aperçu le Mont-Blanc de loin. Et je suis complètement tombé amoureux de cette montagne. Faire juste du ski sur les montagnes ne me suffisait plus, je me suis dit que je vais commencer à les gravir. Le Mont-Blanc qui s’impose majestueusement sur les Alpes. C’était vraiment un challenge de taille pour moi.

Seneweb : D’où vous vient cet amour pour les sports extrêmes ?

Mohamed Tounkara : Je crois qu’il y a un côté un peu personnel, le fait aussi que j’ai grandi au prytanée militaire de Saint-Louis, j’ai été élevé là-bas. Donc, ils m’ont un peu enseigné cet aspect là de me surpasser. Peut-être que c’était le catalyseur de ce caractère que j’ai.

« Quand on est en montagne, on est tout le temps exposé à la mort »

Seneweb : Une telle ambition nécessite une bonne préparation en amont. Pouvez-vous nous la décrire ?

Mohamed Tounkara : D’abord, il faut se préparer mentalement  et physiquement mais plus côté mental. Parce que, quand on est en montagne, on est tout le temps exposé à la mort. On est dans des situations où l’on doit prendre des décisions qui doivent nous sauver la vie et pour cela il faudrait vraiment avoir un mental d’acier. Moi, je me suis préparé mentalement avec la prière parce que je trouve beaucoup de méditation dans la prière. Beaucoup de visualisation aussi. Je me suis tellement préparé que quand j’étais sur la route du sommet, c’est comme si j’étais dans mon élément. Je n’ai jamais été là-bas mais j’étais vraiment à l’aise sur le chemin du sommet. Se préparer physiquement aussi, car c’est très éprouvant à cause de l’oxygène aussi. On prend plus de temps pour faire les choses.


Seneweb : Combien de temps cela vous a-t-il pris ?

Mohamed Tounkara : On va peut-être dire 3 mois. Parce que je suis quelqu’un d’assez sportif (5 fois par semaine). Quand, j’ai vraiment décidé de faire le sommet tout seul, j’ai adapté mon entraînement au projet.

Seneweb : Quelles sont les différentes étapes d’une telle ascension ?

Mohamed Tounkara : Déjà, il y a l’acclimatation. C’est un processus où on doit dormir en altitude pendant au moins 2 ou 3 jours redescendre afin de laisser notre corps s’habituer au manque d’oxygène. Après, il y a la partie de l’ascension où on doit rejoindre un certain nombre de refuge avant de faire le dernier « push to the summit » pour arriver au sommet. L’ascension en elle-même a duré 2 jours (la montée et la descente) et l’acclimatation 2/3 jours. Donc, 5 jours au total.

“Avec le réchauffement climatique, la montagne n’est pas très clémente”

Seneweb : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?

J’ai eu énormément de difficultés. Actuellement avec le réchauffement climatique, la montagne, elle n’est pas très clémente. On a vu des crevasses qui se sont formées sur les glaciers. Des crevasses que j’ai dû sauter, c’était un peu la roulette russe. J’ai été frappé par la chaleur et il y a énormément de chutes de pierres. Il y a un couloir tristement célèbre que l’on appelle le « goûter ». Parce qu’il y a eu énormément de morts là-bas. J’ai dû le traverser seul parce qu’il y avait personne pour me dire s’il y avait des pierres qui tombaient. La neige n’était pas bonne. Je glissais sur les arrêtes, je devais très vite ralentir ma chute. Voilà en gros toutes les complications que je devais gérer.

“À aucun moment, je me suis dit que je vais rebrousser chemin”


Seneweb : Face à toutes ces difficultés, avez-vous envisagé de rebrousser chemin ?

Mohamed Tounkara : Non, jamais ! J’étais très confiant. Moi, je visais le sommet. Bien évidemment, j’évaluais les risques au fur et à mesure. Pour moi, c’étaient des risques que je pouvais prendre. J’étais apte physiquement et psychologiquement à les surmonter. Donc, à aucun moment, je me suis dit que je vais rebrousser chemin. J’ai été très éprouvé physiquement et psychologiquement mais pour moi, c’est dans la souffrance que l’on grandit.

Seneweb : Une fois au-dessus du Mont-Blanc, quelle est la première chose qui vous est venue à l’esprit ?

Mohamed Tounkara : Un sentiment d’accomplissement profond. Je pensais à tous ces mois là où je me préparais. Mais aussi aux derniers moments que j’ai eu à gérer avec les dangers. C’est l’émotion, on verse quelques larmes.

Seneweb : Vous avez pleuré…

Mohamed Tounkara : Oui, j’ai beaucoup pleuré (rires). Je suis quelqu’un qui ne pleure presque jamais. C’était tellement éprouvant, tu vois ta vie défiler à plusieurs reprises mais tu gagnes « ce combat contre la mort ».

Seneweb : Était-ce là votre première performance du genre ?

Mohamed Tounkara : Oui, parce que j’ai eu à tenter le sommet avec un groupe mais on a juste fait 1/3 du trajet à cause d’une tempête de neige qui nous a fait rebrousser chemin.

« Je souhaite aussi faire le tour de Dakar pour sensibiliser contre la pollution. Car, Dakar fait partie des 25 villes les plus polluées au monde»

Seneweb : On imagine que cela vous a donné faim d’autres aventures. Quels sont les prochains défis sur le court, moyen et long terme ?

Mohamed Tounkara : Je pense que je vais me limiter à mes objectifs sur le court terme (rires) parce que c’est un sport assez dangereux. Il y a quelques jours, j’ai vu 2 alpinistes qui sont morts sur le Mont-Blanc. En tout cas, la prochaine expédition, ça sera le Kilimandjaro en février. Je compte aussi faire le tour de Dakar à pied parce que quand j’étais en France, j’avais fait le tour de Paris. En France, ils ont des Grandes Randonnées (GR). Le GR 75, c’est la randonnée de Paris. Là, je prévois de faire le tour de Dakar à pied. Normalement, on va avoir à peu près 60-65 km. Et plus tard, je pourrais partager le fichier Gpx aux gens qui veulent le faire. Je souhaite aussi faire le tour de Dakar pour sensibiliser contre la pollution. Car, Dakar fait partie des 25 villes les plus polluées au monde. Sensibiliser contre les déchets dans les rues pour faire de Dakar une ville plus piétonne.

Seneweb : Vous aviez confié avoir dépensé entre 1 300 000 et 1 625 000 F Cfa pour cette expédition. Mais cette activité vous a-t-elle aussi apporté en retour financièrement ?

Mohamed Tounkara : Si après je vais être supporté par des sponsors oui. Mais ça ne rapporte pas vraiment. Je me nourris plus de passion qu’autre chose.

Seneweb : Que pensent vos proches de cette passion ?

Mohamed Tounkara : Mes parents sont assez ouverts d’esprit. Ils m’ont dit quand même que c’est dangereux mais ils savent que c’est ma passion et ils ne peuvent que prier pour moi. Donc, ce n’était pas vraiment un problème.

Seneweb : Pouvez-vous exercer ce genre d’activité au Sénégal ?

Mohamed Tounkara : Je reviens d’une expédition de 6 jours à Kédougou. Je devais marcher de Kédougou jusqu’en Guinée. Cette expédition de 80 km devait m’emmener vers une ville qui se nomme Mali. J’ai eu sur le chemin à escalader 3 montagnes, dormir dans la forêt… Il y a aussi derrière les Mamelles de l’escalade de falaise. Il y a quand même pas mal de chose à faire de ce côté-là au Sénégal.

Source: seneweb